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TRIBUNE accueille mes points de vue convivialistes liés à l'actualité.
ARCHIVES 2022

Le sport : peut-il être à l’abri du politique ? -- (5 décembre)
Climat : il faut redonner un sens à l’histoire. -- (18 otobre)
Une grande restructuration qui ouvre sur un monde désirable. -- (8 septembre)
Est-ce la fin de l’automobile individuelle ? -- (7 juillet)
Le social n’est pas soluble dans l’écologie -- (24 février)
Engageons le pari de la convivialité -- (20 janvier)








La coupe du monde de foot au Qatar offre des moments d’émotion collective intense qui bouleversent au sens littéral du terme et rebooste un certain nombre d’états psychiques atteints par des réalités prosaïques dramatiques.
Une sorte d’opium sans conséquence négative immédiate pour la santé de ceux qui sont shootés.
Mais cela empêche-t-il de réfléchir alors que ce qui se passe constitue un condensé de ce qui a conduit notre monde dans l’état où il est et de ce qui nous mène à la catastrophe?

Le sport : peut-il être à l’abri du politique ?

Publié sur altersocietal, le 5 décembre 2022 télécharger le post altersocietal.

Lors du tour de France 2022, de grandes villes comme Rennes, ont refusé sa venue pour raison écologique. Elles refusent aujourd’hui d’installer des fan zones pour la coupe du monde quand le président Macron nous dit de ne pas mélanger sport et politique. A vrai dire, si le Qatar organise une coupe du monde c’est grâce à des appuis politiques obtenus pour des raisons économiques et certes pas pour des raisons sportives.

L’économie malgré tout


L’économie a tout envahi, y compris le sport et a démonétisé la politique. A la création de l’ONU on refusait d’intervenir dans les affaires intérieures des Etats. Les plus puissants se sont ensuite prévalus d’un droit d’ingérence humanitaire, qu’ils ont exercé, à l’occasion, envers les plus faibles. Tout en fermant les yeux face aux autres, au bénéfice de la mondialisation heureuse et des échanges lucratifs, ignorant le travail des prisonniers, des enfants, les salaires indignes et les conditions de travail inhumaines. Mais en maintenant des relations distantes. Ici, la patrie des droits de l’homme est en relation étroite avec le Qatar, ce qui pose un problème au-delà de l’injure à la lutte contre le réchauffement climatique que constitue cette coupe du monde.

Certes beaucoup préfèrent regarder ailleurs, c’est si consensuel et émouvant de vibrer ensemble, dans une ambiance populaire, aux exploits d’un démarrage fulgurant de Kilian MBappé vers le but adverse. Mais il nous faut ouvrir les yeux.

Des relations France-Qatar très spéciales


Nos relations avec le Qatar sont des relations très spéciales. Ce très riche petit pays pétrolier bénéficie depuis au moins 1993 avec Balladur puis Chirac, des attentions françaises. Bien que le Qatar soit un soutien de l’islamisme radical et que les femmes, les LGBT et les travailleurs immigrés y soient traités en toute violation des droits de l’homme. Son émir a été le premier chef d’Etat étranger reçu par Nicolas Sarkozy qui a facilité les investissements qataris avec des cadeaux fiscaux considérables.

Hollande et Macron ont suivi. Un grand club de Football et une dizaine d’Hotels de grand luxe en toute propriété, des participations dans de grands groupes français liés à des infrastructures, à l’énergie et au luxe. Quelques écoles dupliquées comme HEC et bientôt le Louvre pour rivaliser avec celui d’Abu Dhabi. Et des dizaines de milliards de contrats semi-publics : Hollande signe pour 24 Rafales, Macron pour 12 Rafales, des centaines de blindés, 50 Airbus et plus et le métro le plus moderne du monde etc.

La question écologique nous réveille


La raison économique semble plus forte que tous les principes humanistes dans nos relations internationales. Les questions de politique étrangère, domaine réservé du chef de l’Etat échappent aux discussions démocratiques, aussi, en dehors de moments forts tels que des révoltes de ceux qui sont privés des droits humains fondamentaux, l’opinion réagit peu. Mais la question écologique semblerait éveiller un peu plus les consciences, surtout chez les jeunes.

C’est en effet cette question qui a mobilisé dans l’opinion à propos de cette coupe du monde. L’écologie était encore dans le flou quand le Qatar obtint sous Sarkozy le droit à cette coupe. La question des droits humains n’a été évoquée qu’après celle de l’écologie. Pourtant la foule entend se mettre à l’unisson avec nos footballeurs. Mais pendant ce temps, un milliard d’humains souffrent de conditions de vie indignes et la planète perd encore un peu plus de son habitabilité. Est-ce que l’idée de séparer les affaires et le sport de la politique est une bonne idée ? Raisonnable, responsable et propre à construire un futur désirable pour notre humanité ?

Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.


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Décédé le 9 octobre 2022, le philosophe Bruno Latour a laissé un message à tous ceux que préoccupe la crise climatique et qui souhaitent s’impliquer, pour permettre à la Terre de rester habitable.

Climat : il faut redonner un sens à l’histoire.

Publié comme point de vue sur Ouest-France, le 18 octobre 2022 télécharger le post altersocietal ou consulter le site de Ouest-France.


Avant de s’en aller, le philosophe Bruno Latour nous a laissés, en début d’année 2022, un mémo intitulé « Sur la nouvelle classe écologique ». Il s’agit d’une liste de points importants à discuter principalement par « les membres des partis écologiques et leurs électeurs présents et à venir ». En fait, par toute personne volontaire pour s’activer au maintien de l’habitabilité de notre Terre.

« On s’accroche à un modèle qui ne peut plus exister »


Son diagnostic de la situation tragique dans laquelle se trouve l’humanité tient en peu de mots : le monde tel que connu et expliqué jusqu’ici s’est déjà effondré. Mais, comme le dit Serge Latouche (Le Un, 14 septembre 2022) « on s’accroche à un modèle qui ne peut plus exister ». Latour s’adresse donc à toutes les personnes volontaires pour se préoccuper de la tragédie, mais qui sont sans boussole. Selon lui, « les écologistes sont comme les canaris dans la mine » (Basta, 16 février 2022). Tels des lanceurs d’alerte, ils incitent à quitter une situation intenable dont ils n’ont ni pleine compréhension, ni alternative fiable à proposer..

« Un dérèglement du sens de l’Histoire »


C’est que la tragédie actuelle va au-delà du dérèglement climatique, c’est un dérèglement du sens de l’Histoire. La modernité lui avait donné la direction du progrès scientifique et technique, de la maîtrise de l’Homme sur l’Univers stimulant la croissance de la production matérielle, qui devait bénéficier, plus ou moins vite, à toutes et à tous. Ce credo a été commun aux diverses écoles libérales ou marxistes, et les variantes n’ont concerné que les modalités de répartition des fruits des avancées historiques.

Patatras ! Avec le Covid et le dérèglement climatique, l’Univers s’est brutalement rappelé à nous, c’est lui le maître et nous en dépendons. Nous doutons tous : où va le monde ? Il est donc impératif de redonner un sens à notre Histoire si nous voulons la poursuivre, et nous atteler au maintien de l’habitabilité de notre Terre.

« La nouvelle classe écologique »


Comment faire ? Un réordonnancement généralisé du monde s’impose, il peut être entraîné par un acteur clé : la nouvelle classe écologique. Latour emploie le terme de classe sans lien de contenu avec les actuelles classes sociales. Il s’agit de former un groupe de personnes, issu de la société civile mondiale et qui devienne majoritaire de sorte que soit vrai le slogan de Greta Thunberg : « Nous sommes le monde, nous sommes l’avenir ».

« La visée n’est plus de croître, elle n’est pas pour autant de décroître »


Latour donne quelques pistes de réflexions pour faire émerger cette nouvelle classe écologique, une classe géo-sociale. C’est-à-dire composée de personnes situées socialement et sur un territoire, avec le défi suivant à relever : « Superposer le monde où l’on vit et le monde dont on vit dans le même ensemble juridique, affectif, moral, institutionnel et matériel, […] faire naître par des soins la continuité des êtres dont dépend l’habitabilité du monde ».

Selon lui, répondre à ce défi « allonge l’horizon de l’action » jusqu’ici borné à celui de la production et des États Nations. Et impose de se battre contre la globalisation illusoire et contre le retour à l’intérieur des frontières. La visée n’est plus de croître, elle n’est pas pour autant de décroître. Les humains doivent assurer la reproduction de leurs conditions d’existence mais il faut y ajouter l’exigence de reproduire les conditions d’habitabilité de la terre.

Cela exige selon Latour un grand réordonnancement que pourra mener une nouvelle classe écologique formée à partir de milliers de mouvements citoyens de base. Cela exigera de mobiliser les affects du plus grand nombre et de « conquérir le pouvoir contre les classes qui l’occupent aujourd’hui et qui ont failli ». Et trouver des solutions qui évitent que seul un petit nombre échappe aux catastrophes.

Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.



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Après la naissance de la vie humaine, après l’organisation de la vie agricole et urbaine,
après l’ère de la liberté et de l’industrie, voici que va surgir une nouvelle avancée de l’humanité :
« l’âge de l’interdépendance et de la culture. »

Une grande restructuration qui ouvre sur un monde désirable.

Publié sur Ouest-France, le 8 septembre 2022 télécharger le post altersocietal ou ou consulter le site de Ouest-France.

Notre gouvernement veut prendre la bonne mesure des risques climatiques et se met à l’écoute d’une experte du « GIEC », qui analyse depuis trente ans l’état et la dégradation du climat. Notre président nous avertit, à juste raison, que le monde en a fini avec « l’abondance ». L’abondance, c’était le rêve dont nous avions été nourris tout au long des « trente glorieuses » d’après-guerre ; malgré la litanie des crises depuis 1975, nos dirigeants s’étaient efforcés jusqu’ici de maintenir l’espoir que la glorieuse abondance reviendrait.

Beaucoup y croyaient, mais peu en ont bénéficié, la plupart en ont été exclus. La pauvreté est restée importante même dans les pays dits riches. En 1972, le rapport au Club de Rome avait sonné de fait la fin de la partie. Son titre en français était « Halte à la croissance » soit encore, halte à l’abondance. Auditionné sur ce rapport par le Congrès Américain, l’économiste Boulding déclarait : « celui qui dans un monde fini, croit à une croissance infinie, est soit un imbécile, soit un économiste ».

Un bouleversement à l’échelle de l’humanité.


Voilà donc cinquante ans que nous avons été dûment informés, mais nous n’avons pas encore pris conscience de l’ampleur de ce qui arrive. Un bouleversement à l’échelle de l’histoire de notre humanité. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accompagne ou non. Ou nous coopérons tous ensemble de manière conviviale en nous protégeant et en changeant de mode de vie. Ou nous subissons les impacts de plein fouet, chacun pour soi, nous opposant de manière dramatique. Quoiqu’il en soit, les changements en cours, ceux de l’épuisement des ressources et de la dégradation du climat, vont tout bousculer et réécrire le visage de l’humanité. Comme l’ont fait les trois précédentes transformations que l’humanité a connues.

La plus ancienne a été notre humanisation menée par quelques espèces de primates évolués. Seule la nôtre a survécu, encore animale, mais devenue humaine, inaugurant une forme de vie radicalement nouvelle. La seconde est survenue il y a une dizaine de milliers d’années. Ici et là, des groupes humains se sont faits agriculteurs, éleveurs ; sédentarisés, ils ont inventé l’écriture, les livres, bâti des cités et des empires. Et l’humanité a proliféré – de quelques dizaines de milliers d’individus elle a dépassé les 500 millions en 1650- la plupart d’entre eux vivant dans un monde de plus en plus artificialisé, matériel et intellectuel.

La troisième transformation, issue des Lumières, libère les individus jusqu’alors étroitement encadrés par des sociétés qui les soumettent corps et esprit, à des règles et des traditions. La liberté de penser et de conceptualiser va accélérer le progrès des sciences et des techniques. Celui-ci, joint à la liberté de tout contracter sur des marchés selon son intérêt, permet l’enrichissement privé et collectif. Permet la révolution industrielle, fondée sur une exploitation efficace et presque sans limite de la nature et des travailleurs. La démographie s’envole. Ceux qui ont été libérés ou espèrent l’être pensent que le processus ne s’arrêtera jamais. Aujourd’hui la société de liberté et d’abondance est loin de concerner les 8 milliards de nos congénères, mais la plupart d’entre eux en rêvent. L’homme est presqu’un dieu, transformant la Nature jusqu’au plus intime des atomes et des gènes, imaginant même un cyber humain immortel.

Une grande restructuration indispensable


Pourtant la Nature s’épuise, la Terre s’échauffe, ce dont sont responsables à la fois notre système de production dans sa totalité et ses engrenages et, tout autant, ce que nous produisons et consommons. Ne nous trompons pas, sans ruptures radicales, nous ne pouvons pas espérer réduire l’ampleur des catastrophes qui nous sont promises.

Mais le contenu de la grande restructuration ne se présente pas sous un jour désirable. Abandonner la voiture individuelle pour le transport collectif, passer d’une alimentation carnée à une alimentation centrée sur des légumes, parsemer les paysages d’éoliennes bruyantes, réparer et recycler plutôt que se procurer le dernier modèle d’un bien, cesser d’extraire des ressources et les laisser dans le sol, renoncer à la vitesse et aux illuminations etc. Fermer des milliers d’entreprises devenues sans objet et supprimer leurs emplois. Même si de nouvelles et nombreuses autres entreprises sont créées, cela sera à tout le moins très difficile et très « pénible ».

L'âge de l'interdépendance et de la culture


Cette restructuration est-elle possible ? La sobriété de chaque entreprise et de chaque citoyen, en proportion de leurs excès actuels n’y suffira pas mais l’’économie restructurée apportera à chacun de quoi vivre dignement. Avec une nouvelle définition et un nouveau partage des activités, des emplois, de la production. Et aussi le plein exercice des services publics, des biens communs. Le recul de la marchandisation compétitive qui a tout soumis ou presque à la valeur de marché. Le retour pour tous à une vie plus simple, sans quasi-monopolisation de certaines ressources, par quelques-uns. Les super revenus et les super profits ne seront plus possibles. Comme le préconisait Gandhi, il nous faut « Vivre tous, simplement, pour que tous puissent simplement vivre ».

La bonne nouvelle c’est que nous ferons ainsi éclore un monde désirable. Après la naissance de la vie humaine, après l’organisation de la vie agricole et urbaine, après l’ère de la liberté et de l’industrie, voici que va surgir une nouvelle avancée de l’humanité : l’âge de l’interdépendance et de la culture. Nos énergies et nos rêves, dans les limites du respect des uns et des autres et de la régénération de la Nature, peuvent se déployer sans autre contrainte, dans des activités physiques et des activités de l’esprit. Contribuer certes pour notre part au fonctionnement de l’économie restructurée, mais afin de pouvoir tous goûter la poésie de la vie, jouir de ce qui est beau, de ce qui nous donne un sentiment de plénitude et de communauté humaine, de communion avec la Nature. La musique, les chants, la danse, la littérature, les arts, les sports. Accomplissons la révolution culturelle !

Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.


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L'ampleur du changement climatique ne fait plus de doute, il faut désormais agir !

Est-ce la fin de l’automobile individuelle ?

Publié sur Ouest-France, le 7 juillet 2022 télécharger le post altersocietal ou regarder le facsimile de OF papier

L’ampleur du changement climatique ne fait plus de doute. Aujourd’hui tous répètent le propos de Jacques Chirac en 2002 : « la maison brûle et nous regardons ailleurs ». Nos actions n’avaient pas été à la hauteur de l’alerte donnée, en 1972, par le rapport du club de Rome. Mais, bien que Jacques Chirac ait solennellement admonesté le monde entier, et en dépit du nombre des réunions tenues depuis, les actions sont restées en deçà du nécessaire. Nous avons tergiversé, et le feu est devenu plus brûlant, les incendies plus ravageurs. Nous avons déjà subi des évènements terribles et des catastrophes nous sont promises.

Comment changer le cours dramatique de l’évolution ?


On n’éteindra pas le feu de la maison avec la goutte d’eau du colibri du regretté Pierre Rabhi. Nos petites bonnes actions, le tri sélectif, le non usage de sacs plastiques, ou nos petites actions collectives, installer des panneaux solaires ou des éoliennes, ou encore nos projets voulus grandioses, comme arrêter la production de véhicules à moteur thermique en 2035, ne suffiront pas à inverser les tendances. Pour 2035, le rapport du GIEC n’est pas un scénario mais une prévision liée à l’inanité des mesures prises ces cinquante dernières années. Alors, au lieu de lutter, nous essayons de nous protéger contre les canicules en mettant de la verdure en ville. Mais que faire pour supporter la montée des eaux, les tornades de grêle, les inondations, la disparition des abeilles ? Comment changer le cours dramatique de l’évolution vers l’inhabitabilité de la planète ?.

Il faut tourner la page des aspects excessifs de notre civilisation matérialiste. Des excès, bien agréables, mais dont on peut se passer sans nuire à notre bien-être matériel et à la joie de vivre. Alors que les maintenir –même « verdis » - c’est courir vers la survenue prochaine d’une terrible catastrophe. Ce sera un sauve-qui-peut, des éliminations contraintes non organisées de manière civilisée, la prise de pouvoir de dictatures nous plongeant dans la barbarie.

En finir avec l’automobile individuelle


Faire le nécessaire, c’est planifier la lutte pour sauver l’habitabilité de notre planète. Parmi les sources d’émission de CO2, les activités de transport, avec le quart des émissions est une cible désignée. Alors suffit-il de décider, comme le parlement européen vient de le faire, de supprimer les moteurs thermiques ? Mais la première source des émissions, c’est la production d’énergie : 40% du total. Remplacer la voiture à essence par la voiture électrique oblige à produire plus d’énergie électrique et met à la casse des véhicules pour produire de nouvelles voitures équipées de batteries épuisant les ressources en métaux rares. Et continuer d’encombrer les autoroutes et les espaces avec des véhicules à l’arrêt 80% du temps en moyenne.

Non, il faut, par exemple, en finir avec l’automobile individuelle. Tout projet radical exige des études approfondies pour en envisager toutes les implications et les conditions de succès. Je peux au plus énoncer quelques évidences. Ce sera plus difficile pour le citoyen en zone d’habitat peu dense ou dispersé. Il faut envisager non seulement les moyens de transports – tels que pools de voitures individuelles en partage, densification des transports en commun, faciliter des transports alternatifs, vélo, cheval ? - mais aussi la délocalisation de nombreux services et infrastructures à proximité des habitats. Et encore planifier la restructuration des activités de production liées et ses conséquences. Pour sûr que ce n’est pas simple, aussi est-il grand temps de mener les études nécessaires, de proposer des scénarios. C’est ça de la planification que l’on préférerait concertée. Comme au temps du général de Gaulle pour moderniser la France.

Marc Humbert, convivialiste, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)


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Il faut revoir la manière de traiter la question sociale, et la remettre au cœur du fonctionnement même de l'économie restructurée.

Le social n’est pas soluble dans l’écologie

Publié sur Ouest-France, le 24 février 2022 télécharger le post altersocietal ou regarder le facsimile de OF papier

La question politique centrale, celle de l’organisation de la vie ensemble dans une société, est d’en assurer la prospérité et la sécurité. Le cœur de la question sociale concerne la manière dont la prospérité est répartie entre l’ensemble des citoyens. A de nombreux moments de l’histoire ici et là, la politique s’est efforcée d’agir sur cette répartition souvent parce que l’excès d’inégalité mettait en péril la sécurité.

Entre la crise de 1929 et les années 1980 les inégalités ont été réduites, moins par des modifications dans le mode de fonctionnement général de l’économie que par la correction extérieure de ses effets inégalitaires, via l’impôt et la redistribution organisés par l’État. Cela a conduit les économies riches à dépenser 20% de leur PIB en dépenses sociales (moyenne des pays de l’OCDE) et à prendre en charge directement nombre de dépenses, souvent au-delà de l’administration et de la sécurité. En 2019, les dépenses publiques totales représentaient 40% environ du PIB aux États-Unis, 45% en Allemagne, 55% en France. Les déficits et les dettes enflent.

En dépit de l’élévation des dépenses, la montée des inégalités a repris depuis les années 1980. Les très hauts revenus s’envolent, la pauvreté ne régresse plus et les classes moyennes voient leur niveau de vie relatif se dégrader. Entre les pays, hormis quelques-uns qui ont su s’immiscer dans la compétition mondiale des nations et des firmes, comme le Japon dans le passé, la Chine aujourd’hui, les inégalités demeurent. La situation en Amérique Latine s’est à peine maintenue, celle de l’Afrique et de l’Asie du Sud reste précaire : selon la FAO 40% de la population mondiale n’a pas accès à une alimentation suffisante. Bref la question sociale n’est pas réglée et la question écologique qui surgit n’en amène pas la solution avec elle.

L’urgence écologique est indéniable même s’il reste des climato-sceptiques et quelques optimistes. Ceux qui pointent des restaurations réussies, comme la lutte contre le trou dans la couche d’ozone ou les eaux redevenues propres de telle ou telle rivière. Ces bonnes nouvelles ne peuvent cacher la tendance générale à l’épuisement et à la dégradation de notre Terre. L’effondrement n’est pas certain, mais les catastrophes dites naturelles se multiplient déjà et le réchauffement va se poursuivre entraînant toujours plus de drames.


Réduire l’excès de la production matérielle


Toute affaire cessante, devons-nous donc, si nous sommes réalistes et conséquents, nous mobiliser pour mettre enfin un terme au processus de dégradation ? Sachant que la cause immédiate et première de cette dégradation est l’excès de production matérielle. Excès de biens manufacturés pour notre consommation, excès d’emploi de matières et d’énergie pour leur production, excès des rejets induits dans l’environnement. Y mettre fin signifie une décroissance de la production. Le terme écorche l’entendement du plus grand nombre mais il faut dire la vérité.

Réduire l’excès de la production matérielle, d’une manière ou d’une autre, cela signifie arrêter la course à la croissance sans fin. Cela ne veut pas dire réduire la quantité et la diversité des biens consommés, mais stopper leur obsolescence accélérée. Dit autrement c’est garantir à tous les objets manufacturés une durée de vie longue, par exemple vingt-cinq ans pour une automobile ou tout produit électroménager.

Dans ces conditions que devient la question sociale ? Malgré les espoirs d’emplois « verts », la décroissance va réduire le travail et, par la suite, exiger plus de redistribution pour éviter la montée des inégalités. Mais avec la réduction de la production disparaissent des possibilités de redistribution. Il faut donc revoir la manière de traiter la question sociale et la remettre au cœur du fonctionnement même de l’économie restructurée. Le social n’est pas soluble dans l’écologie. Mieux ou pire, sans réinsertion de l’économie dans le social, pas de réelle avancée possible sur le front de l’écologie.


Marc Humbert, convivialiste, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)


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Engageons le pari de la convivialité !


Publié sur Ouest-France, le 20 janvier 2022 télécharger le post altersocietal ou regarder le facsimile de OF papier

Engageons à fond, en 2022, le pari de la convivialité, qu’elle soit plus contagieuse que tout et qu’elle nous aide à rendre ce monde tout simplement vivable pour toutes et pour tous, à l’écoute les uns des autres, aux petits soins de chacun et de la nature !

Comment s’y mettre ? Qu’est que c’est donc que la convivialité ? Le mot est plutôt à la mode en tout cas : si je tape convivialité sur un certain moteur de recherche, celui-ci me propose 62 millions de résultats ; si je tape fraternité, il m’en propose 49 millions ; si je tape socialisme, le nombre de résultats descend à 10 millions. Tout ceci n’est pas un sondage, ce n’est à mon sens qu’une indication générale sur la hiérarchie des préoccupations des personnes – de langue française- qui viennent sur internet.

Je me dis que par rapport au XXe siècle, un moins grand nombre de nos congénères sont attachés à une idéologie, telle que le socialisme. Ils restent proches d’idées de comportements recommandés – idées héritées de la religion – comme la fraternité, mais ils ont une préférence pour des pratiques libres, de sociabilité concrète, c’est ce que représente la convivialité.


La convivialité, c’est l’empathie


La convivialité, c’est d’abord l’empathie. L’empathie c’est notre aptitude à nous mettre à la place de l’autre, sans s’y obliger par référence à quelque chose, mais simplement, de manière spontanée. Si nous croisons quelqu’un d’inconnu sur un chemin – pas dans la foule (et encore) – que nous lui sourions, le saluons, cette personne nous rend notre sourire, notre salut. Mencius (penseur chinois du IVe siècle avant Jésus-Christ) disait, « toute personne qui voit qu’un enfant sur le bord d’un puits risque d’y tomber – de s’y noyer, s’efforce de faire un geste pour l’éviter ».

L’empathie est au cœur de notre humanité. Montaigne avait fait graver dans son bureau la maxime latine de Térence : « rien d’humain ne m’est étranger ». Dit autrement, pratiquer la convivialité, c’est ne croiser que des semblables, s’en sentir proche et se comporter avec eux en toute humanité, avec bienveillance. Bienveillance également à l’égard du monde animal et de la nature.


Convivialité et entraide


La convivialité c’est aussi l’entraide. Tout comme l’empathie, c’est une composante fondamentale de notre nature humaine. Il y a bien longtemps, en 1902, Kropotkine a souligné que la loi de la nature n’est pas celle d’un homme qui est un loup pour l’homme et que l’évolution de notre lignée a reposé sur l’entraide plus que sur la sélection du plus fort. Récemment la paléoanthropologie (voir par exemple Jean-Jacques Hublin) a confirmé que l’essor de l’humanité a tenu à son aptitude à gérer les coopérations de groupes plus nombreux. Bref, la convivialité c’est une sociabilité bien comprise qui mène à pratiquer la solidarité.

La convivialité c’est encore l’autonomie dans l’interdépendance. C’est-à-dire la soif d’autonomie, toute naturelle et commune bien au-delà des humains, de ne pas être entravé dans l’exercice de son pouvoir d’agir (repéré comme tel par Spinoza au XVIIe siècle). Mais en même temps reconnaître que nous avons besoin les uns des autres et de la nature ; que si nous refusons toute entrave ou domination qui serait exercée sur nous par un autre, toute dépendance, nous savons qu’il nous est impossible de nous en sortir seul, en toute indépendance.

Aussi n’en déplaise à toute vision binaire, nous souscrivons naturellement, certes de façon implicite, en pratiquant la convivialité, à une déclaration d’interdépendance (voir par exemple, Overstreet, 1937) qui amène chacun à rester mesuré.


Assurons la vivabilité du monde


La convivialité c’est enfin la délibération pour accorder nos violons et jouer ensemble la partition de notre vie commune. L’apparente harmonie d’une société (que vénère Confucius au VIe siècle avant JC) résulte certes pour partie de l’application de règles et de rites, de comportements appris, mais surtout de la délibération (Rousseau XVIIIe siècle). Nous voulons dire notre mot, échanger pour nous coordonner, et malgré différences et divergences, construire un monde commun. Usant de la parole, du langage des gestes et des symboles, toute cette complexité constitutive de l’humanité de notre espèce. Parions sur cette convivialité en 2022 et assurons la vivabilité du monde..


Marc Humbert, convivialiste, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)


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