TRIBUNE accueille mes points de vue convivialistes liés à l'actualité.
ARCHIVES 2023
Qu’as-tu fait de ton frère migrant en méditerranée ? -- (30 mai)
Retraites et réchauffement climatique -- (7 février)
Voeux d'un bel avenir pour nos enfants à naître -- (13 janvier)
Ecologie et convivialité.
Depuis l'essor de la pensée rationnelle et libérale occidentale, avec les Lumières,
avec les révolutions politiques et la révolution industrielle,
le monde s'est construit en se libérant des contraintes de la nature - en se décosmisant-
et en se libérant de la contrainte des liens sociaux.
Produisant la destruction progressive de la convivialité sociale et de l'habitabilité de la Terre.
Pour que nous bifurquions sur un autre chemin, il faut une mobilisation massive qui passe par cette prise de conscience qu'au fondement de notre être individuel, comme être humain
et collectif, comme espèce humaine, se trouvent la convivialité de ces liens entre nous
et entre nous tous et les non-humains au sein de la Nature.
Publié comme point de vue sur Ouest-France, le 2 octobre 2023 télécharger le post altersocietal ou consulter le site de Ouest-France.
Nos activités quotidiennes, quelquefois passionnantes, souvent exigeantes, nous sont fréquemment un peu pénibles. Pour compenser cette pénibilité, nous partageons, de-ci de-là, avec nos collègues, des moments de convivialité. Bien nécessaires, comme ceux passés en famille, pour conforter notre énergie vitale. Nous apprécions aussi, pour échapper un peu aux effets d’un quotidien piloté par l’efficacité, de pouvoir faire quelques pas au bord d’une rivière, dans un parc ou un bois, en écoutant le chant des oiseaux ou en contemplant la magie du ciel ou d’un coucher de soleil, à la campagne ou sur les toits. C’est-à-dire de nous rapprocher de la nature, de l’écologie.
Le fait est qu’écologie et convivialité sont au fondement de ce que nous sommes, en tant qu’être humain, tout autant à l’échelon individuel, qu’à celui de l’espèce humaine. C’est fondamental à tel point que sans convivialité et sans écologie, nous n’existerions pas. Pour nous en convaincre, il faut répondre à la question suivante : comment suis-je devenu ce que je suis ?
Un bébé naît comme un être hautement vulnérable. Il doit être protégé, formé, corps et esprit, par les êtres humains qui l’accueillent, le soignent, l’éduquent. Long processus inscrit dans, et marqué par, un milieu local construit par ces accueillants et leurs ancêtres. Sans que bébé n’ait choisi ni ces personnes, ni ce lieu, il devient ce qu’il sera, et commence à penser dans leur langue. Sa conscience s’éveille, imprégnée d’écologie et de convivialité qui le forment tel qu’il devient, et bientôt il dira « je ».
Il lui faut alors s’habituer à sa dimension individuelle, séparée de celle des autres personnes et de l’environnement. C’est une tension que nous vivons, entre notre conscience individuelle, portée par notre « je », et le fait d’être viscéralement intégré dans un corps social, dans un milieu naturel. Notre existence, comme humain, ne s’arrête pas à notre esprit, pas même à notre corps, elle se concrétise dans la convivialité et l’écologie.
Pendant des millénaires, la tension était faible car l’exercice du « je » était empêché. Les masses devaient subir la volonté imposée de quelques-uns. Puis le siècle des Lumières a fait basculer le rapport. Avec le libéralisme politique, les « je », ont pu décider de leurs « choix » et s’émanciper de la contrainte de convivialité et d’écologie. Pour que les choix individuels ne s’entrechoquent pas dans des conflits, peut-être violents, tout en évitant que certains exercent un pouvoir sur d’autres, les Lumières ont promu une organisation de type démocratique. Des règles sont établies à la majorité pour viser l’intérêt général et ainsi, dans les relations entre individus, « je » n’est pas soumis à tel ou tel autre, mais à la loi commune.
En dehors du champ politique, les individus contractent librement les accords qui leur conviennent. Ainsi, en économie, pas de démocratie, mais des rapports de marché. Le détenteur de moyens financiers commande à celui qui n’a que ses bras et ses savoirs à offrir. Les ressources sont puisées dans la Nature, exploitée selon l’injonction de Descartes de nous en rendre comme « maître et possesseur ». Ce schéma a rythmé nos quotidiens et mené à la situation présente.
Les bémols mis jusqu’ici à ce modèle n’ont pu enrayer une évolution mortifère pour la convivialité et l’écologie. Si nous comprenons que ce sont là deux fondements de notre existence qui sont en péril, nous allons certainement nous mobiliser pour les restaurer. Et ainsi sauver notre humanité.
Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Président de l’association des convivialistes..
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Comment arrêter le drame de la mort des migrants en Méditerranée : plus de 20 000 décès en dix ans. Il faut déjà en prendre la mesure et acter que la France et l’Europe de 2023 ne sont plus celles du siècle dernier. La mondialisation qui est unité dans la diversité a bousculé les anciens nationalismes identitaires.
Pour en relever le défi il faut que les communautés politiques territoriales s’organisent comme des entités multiculturelles accueillantes, non communautaristes.
Publié comme point de vue sur Ouest-France, le 30 mai 2023 télécharger le fac-simile en pdf ou le post d'altersocietal
La politique des migrations exige plus de fraternité et une meilleure prise en compte des réalités de la France d’aujourd’hui. Même à l’échelon le plus général. Depuis dix ans les entrées nettes, toutes origines confondues, sont de 90 000 personnes par an et l’Institut national de la statistique (Insee) comptabilisait sur le territoire, en 2022, quatre millions et demi d’immigrés.
Outre les flux traditionnels en provenance d’Europe (33%) et du Maghreb (30%), d’autres posent un grave problème, ceux venant surtout d’Afrique (18%) et un peu d’Asie (12%).
Comment arrêter le drame de leur mort en méditerranée : plus de 20 000 décès en dix ans, pour l’essentiel des Africains, qui voulaient pour beaucoup venir en France ? Ils parlent notre langue et partagent une partie de notre histoire. Ils ont chez nous des attaches auprès d’immigrés récents ou anciens, certains naturalisés français.
Que l’on soit humaniste athée, chrétien, musulman, bouddhiste ou juste doué d’une certaine conscience morale, on ne peut qu’exiger que soient prises les mesures nécessaires pour mettre fin à ce drame.
Manifestement, ni la France, ni l’Europe ne l’ont fait. Où est le blocage ? Très clairement, comme le montre le poids des sauvetages reposant sur les seules ONG, aucun pays Européen ne tente d’assurer la sécurité des personnes voulant nous rejoindre et qui s’embarquent, prenant le large en Méditerranée. Pourquoi ?
Nos pays pensent qu’en sauvant de la noyade les migrants, elles encourageraient les migrations qu’elles veulent stopper. Est-ce que cette position inhumaine réduit le flux de migrants ? Non. Est-ce que verser à la Turquie des fonds pour qu’elle bloque chez elle les migrants venus d’Afrique a stoppé l’immigration ? Non. Est-ce que l’arrivée de 90 000 personnes par an est un danger économique ? Non, si on en croit l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a dressé un bilan économique positif de l’arrivée de migrants. Les contributions fiscales et sociales qu’ils font, dépassent les prestations diverses qu’ils reçoivent. Alors ?
De fait nous ne pouvons stopper les migrations. Pour qu’une forte proportion de ces migrants restent chez eux, il faudrait « développer le tiers Monde », tâche qui n’a pas été accomplie malgré 65 ans d’efforts déclarés dans le cadre de l’ONU.
En attendant, dresser des murs et nourrir les tentations nationalistes de repli identitaire nous entraînerait dans une folie néfaste.
Pour accepter d’accueillir les migrants qui veulent vivre dignement chez nous, il nous faut prendre acte que nous sommes déjà un pays multiculturel. Nous ne sommes plus la France de 1914 ou même de 1958 quand on assimilait les immigrés et que notre diversité culturelle se limitait à celle de nos régions.
A l’heure de la mondialisation qui est unité dans la diversité, la France est devenue multiculturelle ; maintenons cette multiculturalité accueillante et non communautariste. Inscrivons là dans le droit au lieu de légiférer pour retrouver un passé nationaliste.
Ces cultures vont s’hybrider, très vite à l’heure des communications sans frontières. Inventons de bonnes manières de coexister, de faire que toutes les diversités contribuent au vivre ensemble et à un bien commun défini démocratiquement. Oui, il faut accueillir dignement les migrants, c’est possible. C’est respecter l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme : le droit de migrer librement et de choisir son lieu de résidence.
Selon lui, répondre à ce défi « allonge l’horizon de l’action » jusqu’ici borné à celui de la production et des États Nations. Et impose de se battre contre la globalisation illusoire et contre le retour à l’intérieur des frontières. La visée n’est plus de croître, elle n’est pas pour autant de décroître. Les humains doivent assurer la reproduction de leurs conditions d’existence mais il faut y ajouter l’exigence de reproduire les conditions d’habitabilité de la terre.
Cela exige selon Latour un grand réordonnancement que pourra mener une nouvelle classe écologique formée à partir de milliers de mouvements citoyens de base. Cela exigera de mobiliser les affects du plus grand nombre et de « conquérir le pouvoir contre les classes qui l’occupent aujourd’hui et qui ont failli ». Et trouver des solutions qui évitent que seul un petit nombre échappe aux catastrophes.
Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.
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Quel lien entre la question des retraites et le changement climatique ? »
« Le productivisme ! »
Publié le 7 février 2023 par Ouest-France télécharger le fac-simile en pdf ou le post d'altersocietal
La réforme des retraites provoque d’intenses discussions et une sorte de surchauffe sociale qui semble sans lien avec le réchauffement climatique. Pourtant, les deux « surchauffes » ont bien une origine commune. Quelques remarques permettent de suggérer quels sont leurs liens a priori invisibles.
Première remarque : des milliers de jeunes se sont mobilisés en hostilité à la réforme des retraites. Des jeunes qui pourraient prendre leur retraite au plus tôt vers… 2066 ! À ce moment, même si nos gouvernements prennent bien vite des mesures radicales, la température estivale moyenne sera souvent, y compris dans l’Ouest, supérieure à 40°.
Ce qui menace leur retraite, ce n’est pas telle ou telle réforme, c’est l’inaction climatique de la France, de l’Europe, du Monde. Ce qui pèse sur les générations futures, ce n’est pas tant le poids de la dette, c’est la menace d’une septième extinction. Sans parler, puisqu’il est convenu de reconnaître qu’il n’y a pas de risque zéro, de celui que fait monter la prolifération nucléaire envisagée comme une solution !
Nos jeunes veulent vivre et leur vie est menacée. Et notons comme deuxième remarque que beaucoup ne veulent pas travailler plus. Pourtant l’idéologie du travail est ancienne, née avec la révolution industrielle. Ses émules se sont appuyés sur la Bible : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton visage ». Et ils ont fait plier la classe ouvrière à qui il restait d’espérer le repos et le salut après la mort. Marx a dénoncé la religion comme l’opium du peuple mais le communisme a lui aussi entonné la chanson du productivisme.
Le productivisme fait de la nature une ressource à pressurer et a conduit au réchauffement climatique, à la crise écologique. Il a aussi transformé les personnes en ressources à exploiter. Il leur a imposé un travail subordonné, évalué comme n’importe quelle marchandise. Une quantité : la durée du travail, un prix : le salaire. Peu importe que l’Encyclique Rerum Novarum (1891) puis l’Organisation Internationale du Travail (1919) proclament « Le travail n’est pas une marchandise ». Affirmation ré-énoncée par Benoît XVI dans Amour et Vérité (2009) où il condamne ce « développement centré sur le travail, qui met la planète en danger et provoque une profonde crise culturelle et morale ».
Matières premières, équipements, travailleurs sont tenus pour des coûts à minimiser afin de produire efficacement. La résistance des travailleurs a obtenu la réduction du temps de travail, des protections sociales, des retraites, des augmentations de salaires. Concédées par les élites tant qu’elles ont vu croître les profits. Depuis 1990 que la croissance est en berne, elles détricotent les protections sociales. Pour que les grandes entreprises prospèrent et que grimpent les gains des 1 % les plus riches, il faut produire et vendre plus et que les masses travaillent plus et plus longtemps.
Enfin, notons que bien des jeunes pensent que c’est une aberration. Certes peu d’entre eux quittent le système et rejoignent la grande démission. Pour eux, pour tous, il faut réformer le travail, pas seulement les retraites. Refaire société autrement en articulation avec le reste de la nature. Pour une vie où la production n’est pas le but dominant comme le dénonçait André Gorz, trop tôt disparu et dont on fête le centième anniversaire. Et prendre soin des humains, de la naissance à la fin de vie, tout en respectant les autres vivants et la planète.
Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.
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L'ampleur du changement climatique ne fait plus de doute, il faut désormais agir !
Publié le 13 janvier 2023 par Ouest-France télécharger le fac-simile en pdf ou le post d'altersocietal
Un monde bien meilleur dans cinquante ans ? Il faut y croire, y contribuer, même si les perspectives sont loin de celles vécues au sortir optimiste de la Seconde Guerre mondiale. La mise en place de l’Onu, la décolonisation et la promesse du développement faite au tiers-monde, l’apparition des avions à réaction et des fusées, des ordinateurs, des téléviseurs, la généralisation des téléphones, des automobiles et autres équipements ménagers, l’accès presque universel à l’éducation, à la démocratie et à la culture… Tout cela donnait à espérer des décennies de progrès matériels, de sérénité et de paix.
Beaucoup rêvaient même que l’on pourrait faire la synthèse des régimes capitalistes et communistes. Et les prévisions pour l’an 2000 faisaient entrevoir la possibilité d’une ère d’abondance et de paix universelles.
Trente ans plus tard, il a fallu constater que la machinerie de l’abondance et de la paix s’était bien enrayée et même pire : les avancées enthousiasmantes montraient déjà qu’elles ne pourraient se poursuivre et qu’elles n’avaient bénéficié qu’à une minorité privilégiée de l’humanité. Un demi-siècle encore plus tard, la voie que nous avons continué d’emprunter est clairement sans issue ou plutôt nous mène à l’extinction.
Une grande bifurcation s’impose. Qu’on choisisse d’organiser cette bifurcation ou qu’elle nous soit imposée par des catastrophes naturelles et des guerres. Il est donc raisonnable de former l’hypothèse qu’au bout d’un demi-siècle, sera accompli ce grand chambardement nécessaire. C’est alors un autre monde dans lequel auront à vivre nos enfants à naître. Comment et en quoi pourrait-il être bien meilleur ?
Il le sera si nous prenons des mesures radicales, sans trop tarder : sinon nous les prendrons forcés par la série de catastrophes de plus en plus terribles que nous réservent les vingt à trente années qui viennent. Il faudra prendre grand soin les uns des autres pour adoucir l’éco-anxiété envahissante, tout en abandonnant le productivisme et l’extractivisme.
Dés-accélération des rythmes de vie, recyclage systématique et réparabilité des outils nécessaires à nos réels besoins, sobriété industrielle et énergétique, consommations alimentaires, habillement et habitat, centrés sur le végétal… Toutes ces bifurcations entraîneront une souffrance certaine. Qu’il faudra soigner. Par la parole et l’attention.
Mais peu à peu la souffrance sera compensée par les plaisirs retrouvés de l’autoproduction – étendue, au-delà de la cuisine et du bricolage, au micro-jardinage et à l’artisanat diversifié. Et par le bonheur de renouer un lien fort avec notre milieu naturel, avec les autres vivants, les plantes, les fleurs, et les émotions esthétiques du paysage. Les relations de marchés anonymes et les relations humaines marchandes seront réduites, mais les relations humaines chaleureuses seront multipliées et redonneront à nos vies leur plénitude.
Dans cinquante ans aura repris un mouvement de civilisation centrée sur la culture ; nos enfants (encore à naître aujourd’hui) cultiveront l’art de vivre ensemble dans la convivialité. Ils trouveront étrange cette période 1970-2020 pendant laquelle l’humanité a dangereusement dérapé. Elle avait tout pour permettre à tous les humains de vivre dignement. Mais la démesure a emporté ses élites dans une compétition infernale qui a failli mener à l’extinction de l’espèce. Heureusement un sursaut aura pu se faire jour et nos enfants à naître vont poursuivre la participation de l’espèce à l’évolution de l’univers. Chers enfants à naître, tous mes vœux pour ce bel avenir !
Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)
Vice-président de l’association des convivialistes.
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