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En librairie, depuis le 12 février 2020 - Une issue conviviale aux mouvements sociaux et citoyens

TRIBUNE accueille mes points de vue convivialistes liés à l'actualité.
ARCHIVES 2020

Après le Covid. Que se revigore notre humanisme -- (15 décembre)
Sécurité et cohésion sociale. Qu'apprendre du Japon? -- (26 septembre)
Covid-19: restructurer plus que reconstruire et préserver -- (14 juillet)
#Metoo-George! Pour que ce soit plus qu'un rêve -- (10 juin)
Comment bâtir un monde d'après-covid, différent -- (30 avril)
Peut-on espérer un accord politique d'autolimitation? -- (9 avril)
Il n’y a pas d’autre richesse que la vie. -- (27 mars)
La société branchée et ses périls -- (18 février)






Après le Covid. Que se revigore notre humanisme

Texte publié par Ouest-France le 15 décembre 2020, télécharger le post altersocietal ou regarder le facsimile de OF papier

il nous faut prendre conscience que nous vivons la fin d’un monde,
c’est nécessaire pour réussir à en faire naître un nouveau.


Le rituel saisonnier d’échanges de vœux de bonne et heureuse année s’approche et, comme depuis des décennies, nous nous apprêtons à les formuler avec entrain, malgré une toile de fond tendanciellement de plus en plus sombre.

Nous ne sommes pas dans une crise, ça ne va pas passer


Oui ayons l’optimisme de la volonté, mais sans nous départir du pessimisme de l’intelligence des réalités. Bruno Latour, sociologue et philosophe, nous avertit à propos de la menace écologique : Nous ne sommes pas dans une crise. Ça ne va pas passer. Il va falloir s’y faire. C’est définitif. »

Plus largement, prenons conscience que nous vivons la fin d’un monde, c’est nécessaire pour réussir à en faire naître un nouveau.

On sait déjà que l'ascenseur social est en panne


L’ère de la modernité radieuse est terminée. On sait déjà que l’ascenseur social est en panne et que la précarité s’étend au détriment de la sécurité de l’emploi, qu’on ne peut plus espérer l’augmentation générale des salaires et des retraites. Adieu le progrès technique et industriel qui avait amélioré nos conditions matérielles de vie et nous avait offert de l’autonomie. Désormais, il apporte des facilités et du divertissement mais nous contraint, nous surveille, nous incite à dépenser fébrilement. Fini de flâner dans les commerces de proximité, il faut se précipiter, le téléphone mobile à la main, sur des plates-formes de grandes firmes multinationales.

Finis, une France et un monde en paix, sans caméras et drones de surveillance et de contrôle. Finis, un fonctionnement plus démocratique et décentralisé des institutions politiques et un cheminement délibéré et consensuel vers un projet commun. Fini l’espoir d’une Europe réellement unie et modèle social pour les autres régions du monde. Le Général de Gaulle avait épousé dans les années 1960 le rêve de coopération et de développement pour l’Afrique ; ce fut une illusion malgré les trente glorieuses et bien des jeunes en Afrique n’ont aujourd’hui d’autre espoir que la migration chez nous. En 1974, Valéry Giscard d’Estaing nous avait promis l’égalité des chances ; malgré une succession de réformes et de ministres de l’éducation nationale, on en est encore au même point.

Faire le deuil de cette modernité un temps radieuse


Il ne s’agit pas là de la chronique* de cette agonie de la modernité radieuse et des expédients nous ayant maintenus dans un état permanent de réanimation. Pour restaurer ce qui est au cœur de l’humanisme, c’est-à-dire l’émancipation personnelle et une vie digne pour chacune et chacun, il nous faut faire le deuil de ce qui fondait cette modernité un temps radieuse : la primauté à la compétition sur les marchés, à l’exploitation efficace et sans limites de toutes les ressources, humaines et naturelles, pour maximiser les revenus, les profits et la croissance.

Priorité à la coopération et au soin des autres


Le niveau de prospérité universalisable est celui que nous avions en 1970. Un monde soutenable donnera la priorité à la coopération, au soin aux autres et à l’environnement. On y répartira équitablement les tâches et les fruits de l’activité en cultivant l’art de travailler et de vivre ensemble pour donner du sens à cette vie. Sans cela, l’agonie de la modernité emportera avec elle ce qui nous reste d’humanisme. Déjà pointe la montée des populismes et des régimes autoritaires, de la violence, du terrorisme et des guerres civiles tandis qu’une certaine élite rêve d’échapper au sort commun par le transhumanisme voire par l’exil sur d’autres planètes. Soutenons une mobilisation massive de la société civile mondiale ; elle seule pourra imposer aux pouvoirs en place les solidarités nationales et internationales nécessaires pour que des changements radicaux revigorent notre humanisme !

Marc Humbert, convivialiste, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris)


* Chronique de la fin de la modernité radieuse - non postée sur Ouest-France.

Les premiers éléments annonciateurs forts de cette fin du monde construit avec la révolution industrielle se sont présentés à nous lors de la crise du début des années soixante-dix.
Le dollar dévalue en 1971; après la victoire d’Israël à la guerre du Kippour, en 1973, les pays arabes exportateurs de pétrole en quadruplent le prix ce qui nous étrangle; les nouveaux pays industriels commencent à menacer nos industries de déclin, c’est le défi du tiers monde souligné par l’OCDE en 1979. Mme Thatcher lance alors le mouvement qui gagne tous les pays, celui du retrait de l’Etat au bénéfice des marchés et aux dépens des protections sociales. En 1981, IBM sort son PC, il est emblématique de ce qui va bousculer mondialement les systèmes de production, de consommation et de relations personnelles. En 1986 c’est le big bang financier, il lance la folie de la circulation internationale des capitaux et des innovations financières qui vont alimenter des paradis fiscaux. C’est aussi cette année 1986 que commence l’Uruguay round pour créer l’OMC en 1995, entérinant la mondialisation. La naissance du réseau World Wide Web, en 1991, en a inauguré la composante centrale tandis que l’effondrement la même année de l’URSS, après la chute du mur de Berlin et l’application au reste du monde du consensus de Washington en 1989, en ont acté le caractère planétaire.
La Mondialisation industrielle est mise en œuvre par les grandes firmes internationales encore originaires des vieux pays industriels et du Japon et par leur alliance avec les pays émergents, dont la Chine. La croissance matérielle – et du PIB- de ces vieux pays s’essouffle progressivement. Qu’elles sont déjà loin, à la fin du 20ème siècle, les trente glorieuses !

L’illusion de la sortie technologique possible du marasme retombe avec la bulle internet qui éclate au début des années 2000 tandis que l’échappatoire par la financiarisation montre qu’elle porte en elle un risque d’effondrement auquel nous n’échappons que de peu en 2008. Tandis que quelques pays bénéficient de la tourmente qui bouscule les anciens pays dominants, les populations dans le reste du monde continuent de s’impatienter. L’Iran était entré en révolution en 1978, l’Afghanistan s’était enflammé en 1979, les attentats terroristes islamistes vont se multiplier après celui de l’écroulement des tours du World Trade Center en 2001. Les Etats occidentaux répliquent, au Proche Orient et en Afrique sahélienne, et mènent chez eux des politiques sécuritaires. Les populations pauvres et en danger physique sont tentés d’émigrer, certaines s’efforcent de se rebeller contre des pouvoirs tyranniques (les printemps arabes de 2011). Depuis vingt ans, nous nous débattons dans des conditions qui se dégradent de plus en plus, avec comme dernier avatar, la pandémie de la Covid 19.


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Sécurité et cohésion sociale. Qu'apprendre du Japon ?

Texte publié sur altersociétal le 26 septembre 2020 et sur convivialisme.org le 29 septembre version pdf à télécharger

Les questions de sécurité et de cohésion sociale interpellent le débat politique en France. Ces jours-ci, Philippe Pons, un spécialiste du Japon, se réjouit de la sécurité qui y règne et du maintien de la cohésion sociale. La France peut-elle apprendre du Japon sur ces questions ?

Ce n’est pas évident, car il souligne en même temps qu’il y a un malaise dans la démocratie au Japon. Observation liée à la nomination d’un nouveau premier ministre, Yoshihide Suga, qui était chef de cabinet de Shinzo Abe -démissionnaire, pour raison de santé-, après être resté presque huit ans au pouvoir. L'élite conservatrice libérale, issue de celle au pouvoir pendant la période de guerre, continue ainsi depuis 1955 – hormis deux parenthèses (1993-4 et 2009-2012) - à imposer ses vues à la population japonaise qui l’accepte, semble-t-il, sans sourciller.

Y-aurait-il vraiment à apprendre du Japon ? Pour envisager une réponse à cette question il faut préciser comment s'obtient cette sécurité et de quel type de cohésion sociale il s'agit.


Dans un article récent du Monde (26/09/20), Philippe Pons soulignait qu’au Japon « l’incivilité reste rare, la criminalité faible et la violence de rue inexistante, témoignant d’une cohésion sociale peu entamée ». C’est une toute autre manière de voir ce qui peut paraître aussi comme une anomie sociale. Akira Mizubayashi voyait les choses plutôt sous cet angle quand il titrait ainsi un article du monde diplomatique (Août 2020) pour caractériser un Japon hiérarchique : « langue servile et société de soumission ».

Philippe Pons lui a répondu en quelque sorte en rappelant les quelques insoumissions populaires fortes qu’ont manifestées les Japonais. Il ne peut remonter loin car elles furent presqu’absentes de toute son histoire et même de l’ère Meiji (1868-1912) qui a entrepris de moderniser le Japon. Elles seront présentes mais sporadiques sous Taishô (1912-1926) avec les émeutes de 1918 et quelques manifestations de grèves des années vingt qui seront de plus en plus fortement réprimées. Le Japon tombe ensuite dans un régime nationaliste militariste expansionniste en quasi état d’urgence. Mais il y eut, c’est vrai, des manifestations populaires d’ampleur et virulentes, dans le Japon d’après la défaite, après le retour à l’autonomie en 1955 jusque dans les années soixante. Depuis près de cinquante ans, pratiquement pas de grèves, pas de manifestations significatives, et bien peu de choses à l’occasion du désastre de Fukushima.

Il est bien certain que le Japon est un pays sûr, la sécurité y est remarquable et la vie quotidienne y parait bien agréable. Mais le ciment de la société reste assuré de manière verticale, par l’empereur et le premier ministre. Ce que traduit par exemple le soutien de 65% de la population au nouveau premier ministre que cite et dont s’étonne Philippe Pons. C'est une forme de cohésion portée par un sentiment populaire d’appartenance biologique et culturelle au même ensemble humain depuis les origines. Renforcé par une quasi-absence de population d’origine étrangère – guère plus de 2%- cependant soumise à nombre de discriminations (voir mon article Le Monde diplomatique, janvier 2015). Oui les Japonais aiment à vivre entre eux, ils sont aimables avec les touristes de passage dont ils supportent les comportements différents, mais ils entendent préserver leurs propres manières d’être que les étrangers ne peuvent, selon eux, ni comprendre ni adopter pleinement.

S’ils sont unis par un système constitutionnel impérial, ils restent extrêmement attachés à leurs territoires locaux et à leurs multiples groupes personnels de références (anciens de collèges, membres de tel ou tel club) qui sont cloisonnés et se sentent irréductiblement divers. En témoignent par exemple les difficultés pour les victimes de Minamata (catastrophe d’empoisonnement industriel dévoilée dans les années soixante) de vivre en dehors de leur ville presqu’ostracisée. Ou celles des victimes de Fukushima qui subissent des tracasseries voire plus lorsqu’elles se sont réfugiées ailleurs, même à Tokyo et dont souffrent leurs enfants dans les écoles (voir les témoignages rapportés lors des reportages diffusés cet été sur France Inter).

Les raisons du calme social


Une étude de mai 2019 par la société québécoise mediavox.com retient huit caractéristiques qui expliquent que la société japonaise soit si sûre par rapport à la plupart de celles des pays de l’OCDE. Cinq parmi ces huit correspondent à un encadrement très serré des individus qui pourraient créer des problèmes. 1- tout espace ouvert au public, privé ou non est gardé, un gardien courtois mais vigilant, prêt à demander du renfort et des entrants qui font la queue. 2- tout élément qui pourrait être objet d’incivilité est ainsi protégé, aujourd’hui au moins par une caméra de surveillance. 3- Sanction de prison pour le port d’armes d’attaque y compris d’un couteau. 4- Tolérance zéro pour l’usage de drogues et lorsque des personnalités (par exemple du spectacle) sont arrêtées, elles présentent en général des excuses publiques. 5- Tolérance zéro pour la conduite après ingestion d’une boisson alcoolisée. Ainsi au sortir du restaurant, vous appelez un service taxi, une petite voiture vient avec deux personnes, un chauffeur en descend pour conduire votre véhicule jusqu’où vous allez et il repart avec son collègue qui vous a suivi. Y compris en zone rurale.


Le sens du devoir moral


Venons enfin à la plus importante caractéristique, celle qui en outre permet le fonctionnement des précédentes. La population japonaise, dans son ensemble, partage un sens du devoir moral, un sens de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Inculqué dans la famille, à l’école, et dont la force est entretenue par des pratiques sociales.

Le rescrit impérial de 1890 et la généralisation de l’enseignement primaire obligatoire ont introduit dans toutes les écoles et pour toute la population une doctrine inspirée du confucianisme et conforme au shintô devenu religion d’Etat et centrée sur le respect de la divinité de l’Empereur. Après la défaite, en 1948, la lecture du rescrit, sorte de catéchisme de morale civique impériale, a été interdite. Cependant l’esprit en est resté. Les scolaires portent toujours un uniforme et saluent les couleurs. La discipline est stricte. Prenons un exemple, à l’école primaire les enfants prennent leur repas de « cantine » - avec leur instituteur- dans la classe transformée pour un temps en réfectoire. Une équipe d’enfants va chercher les plats en cuisine, les ramène, les distribuent, puis on débarrasse et on nettoie. Avant le repas on est allé se laver les mains, après le repas on est allé se brosser les dents. Ce sont les enfants qui sont responsables de la propreté de la classe et qui la nettoient. Partout il faut éviter de gêner – ne pas laisser tomber quelque chose par terre, ne pas boucher le passage de quelqu’un, ne pas éternuer, ne pas toucher les autres, ne pas les surprendre en étant en avance ou en retard. Bien sûr ne pas voler, respecter les aînés, être prévenant avec les cadets…

A cette éducation s’ajoute le fait que les croyances en des forces invisibles sont fortement implantées. En témoignent par exemple les foules japonaises qui défilent dès le 31 décembre dans la nuit, au son des 108 coups de cloches des temples bouddhistes et qui se rendent ce soir-là et/ou le lendemain faire leur première visite au temple ou au sanctuaire shintô. Il faut voir ce million de Japonais qui, au premier de l’an, défilent des heures durant, en silence, en marchant lentement sur des lignes d’une dizaine de personnes, le long de la grande allée, bordée de cabanes marchandes, qui mène, à Tokyo, au temple d’Asakusa en passant sous de grandes lanternes rouges. Sans un seul incident. En kimono, en tenue occidentale classique ou plus moderne, avec mini-jupe et cheveux hirsutes vivement colorés, les Japonais répètent le même phénomène partout dans le pays.

Le port du masque, quand on risque de contaminer les autres est une habitude ancrée dans la population, garder la distance sociale aussi, sauf dans les lieux de réunions et de divertissement, dans les établissements d’éducation. Mais la discipline aidant, le Japon avec deux fois la population de la France, sans multiplier les tests et sans application de traçage particulière n’a eu, à ce jour, que 1 500 morts de la Covid.

Sans pouvoir en tirer de conclusion générale, nous sommes amenés à réfléchir sur notre propre société au regard de ces observations. Elles concernent certes une société fonctionnant de manière assez différente des sociétés occidentales démocratiques et où les interactions sociales et l’organisation politique suivent des modalités aussi différentes. Nonobstant, comme l’indique Philippe Pons, il y a, au Japon, une certaine dynamique citoyenne d’activisme social, mais sans qu’elle dépasse souvent les frontières de petits groupes (« seken ») et sans qu’elle s’inscrive dans une discussion nationale visant à contribuer à l’intérêt général. Sans qu’on puisse non plus dire quel pourcentage de la population est concerné par cette dynamique de petits groupes. En tout état de cause il me semble que la cohésion sociale y tient plus de la solidarité mécanique traditionnelle entre des Japonais qui, par ailleurs, sont très soucieux de leur liberté individuelle et n'apprécient guère les ingérences de l'Etat. Solidarité mécanique « naturelle » plus que solidarité démocratique « délibérée ». Et cela interroge sur la meilleure manière de mettre en œuvre l’idéal démocratique.

Marc Humbert, convivialiste, professeur émérite d’économie politique (Université de Rennes, Liris),
ancien directeur français à la Maison franco japonaise de Tokyo (2008-2011).


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Covid-19: restructurer plus que reconstruire et préserver

Texte publié par Ouest-France le 14 juillet 2020 - version facsimile pdf à télécharger

Le président Macron avait promis de se réinventer et de changer de chemin. Mais son leitmotiv du 14 juillet a été "reconstruire" "relancer" avec les meilleurs, pour l’excellence et un cap inchangé : une France forte. Oubliés le monde différent, les nouvelles manières de fonctionner. Mieux partager ? Accompagner chacun dans ses efforts? Se soucier de la biodiversité ? Soutenir massivement les restructurations de rupture avec le passé productiviste ? Reterritorialiser les mobilisations et les actions ? Pas au programme.
Quelles forces sauront se rassembler pour entraîner et mobiliser nos citoyens et construire le monde nouveau dont nous avons tant besoin et dont il ne semble pas percevoir l'urgence ?


Après le choc psychologique, moral et matériel provoqué par la pandémie, notre société attend du gouvernement qu’il prenne des mesures pour que nous nous rétablissions pleinement. Pour que nous retrouvions des occupations et une vie ensemble agréable et que, guidés par des projets à réaliser, nous puissions nous mobiliser pour modeler notre avenir commun.

Plus que reconstruire et préserver, ce choc invite à nous réinventer et, par la suite à restructurer nos installations et nos fonctionnements. Même si tout reprendre comme avant semblerait plus facile.

Pourquoi plus que reconstruire ? Parce que le bilan du choc subi ne se lit pas en termes de destructions, de pénuries graves. À la différence des effets d’une guerre, nous ne déplorons pas de destructions matérielles : nos immeubles n’ont pas été atteints, nos infrastructures non plus, nos entreprises sont toujours en état de fonctionner et nos administrations également.

une insuffisante préparation pour faire face à la pandémie


Nous n’avons pas souffert de pénuries, alimentaires ou de biens de première nécessité, mais ressenti une forte tension, si ce n’est une pénurie, de masques, d’équipement et de personnel de santé, dans les hôpitaux, plus encore dans les Ehpad et pâti d’une insuffisante préparation pour faire face à la pandémie.

Il faut désormais mieux préparer la réponse à ces risques multiples nés de l’évolution de notre modernité : comme le disait voici quarante ans le sociologue allemand Ulrich Beck, nous sommes dans une société du risque, en y incluant la menace pesant sur l’habitabilité de la Terre. Nos concitoyens ont montré en ce domaine – voir les récentes municipales- leur aspiration à ce que soient prises les mesures nécessaires. Il ne s’agit pas de reconstruire mais d’inventer, d’innover dans nos manières de fonctionner.

Ce choc nous a également fait comprendre l’importance de l’autonomie dans de nombreux domaines, industriels nécessaires à la santé ou au numérique, dans l’alimentaire, et l’importance de la qualité des produits, de l’alimentation saine, d’une industrie et d’une agriculture respectueuses de l’environnement et du monde animal. On a perçu aussi la souffrance de l’étroitesse des logements, d’un accès insuffisant aux réseaux numériques. Là encore, il ne s’agit ni de reconstruire ou de préserver, mais de restructurer et d’avancer.


Inventer plutôt que conserver


Avancer sur un chemin, guidés par une nouvelle hiérarchie des priorités : la santé, l’alimentation saine, les transports collectifs, les logements plus spacieux et bien isolés, l’égalité d’accès au numérique. De nouvelles modalités de fonctionnement dans les quartiers, dans l’organisation du travail, de l’enseignement, de la santé. Avec des impacts sur les infrastructures nécessaires à ces fonctionnements réinventés.

Ainsi, choisir avec la convention citoyenne de prendre le train plutôt que l’avion sur des courtes distances, le vélo au lieu de la voiture, amène, comme mille et un nouveaux choix, à bousculer l’ancien monde.

Toute restructuration présente à la fois un côté nouvelle pratique, et un côté nouvelle offre : certaines entreprises, organisations, administrations devront réduire leur activité, d’autres l’accroître et, simultanément, des emplois vont disparaître ici, d’autres seront à créer là. Cela ne peut se faire sans une implication collective, un plan de restructuration piloté par notre gouvernement.

Il lui faut soutenir ces restructurations, ne pas reconstruire ou préserver l’existant, mais aider à se restructurer en soutenant d’autres émergences, permettant la naissance du monde nouveau que nous souhaitons. Alors le financement devra être un financement d’avenir et non l’injection à fonds perdus dans des activités du passé comme nous le fîmes pour défendre pied à pied dans les années 70 la sidérurgie au lieu d’investir massivement dans l’électronique. Autres temps autres priorités, mais, comme hier, il faut préférer la restructuration inventive à la préservation conservatrice.

Marc Humbert, professeur émérite à l’université de Rennes 1- Vice-président de l'association des convivialistes.


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#Metoo- George ! Pour que ce soit plus qu'un rêve.

Posté sur altersociétal le 10 juin 2020

Espérons que l’explosion contre les violences des mouvements #Metoo et le déluge de protestations après l’assassinat de George Flyod puissent nous rapprocher en France comme ailleurs, d’un monde de commune humanité et d’égale dignité où chacune et chacun, prennent soin l’un de l’autre et renoncent à exercer une quelconque violence envers son semblable. C’est-à-dire que nous commencions à appliquer la déclaration universelle de Droits de l’homme de 1948.

Nous devons nous mobiliser fortement- plus encore dans la vie quotidienne- que dans les manifestations ponctuelles, pour ne plus laisser passer aucun dérapage. Notre histoire, pas si lointaine, même en France, a longuement, parfois encouragé, puis accepté ces discriminations. Enfin nous avons pratiqué une sorte de déni sur leur existence et sur celles, associées, des violences inacceptables.

Liberté, égalité, fraternité - Pour qui ?


Nous aimons tous notre devise républicaine « Liberté Egalité Fraternité ». Elle a été affichée aux frontons de nos édifices publics depuis 1848 lors de l’avènement de la seconde République avec l’abolition de l’esclavage en France et dans ses colonies. La devise a résisté à l’empire de 1852 à 1870- puis a fait la fierté de la 3ème République qui a vu naître – enfin – l’école laïque et obligatoire pour toutes et tous, le droit syndical et le droit de grève. Certes la femme mariée devait non seulement obéissance à son mari, mais elle était juridiquement incapable jusque 1938, elle devra attendre pour voter et se faire élire jusque 1946.

La 3ème République est coloniale et se proclame investie, par la voix de Jules Ferry (1885), d’une mission civilisatrice envers les populations qu’il appelle les races inférieures. La 3ème République organise, lors d'expositions coloniales, comme depuis 1867, des « attractions ethnographiques » de noirs et autres indigènes, enfermés dans des enclos, et avec un décor exotique factice, qui sont des sortes de zoos humains. Enfin, lors de celle de 1931, des voix s'élèvent pour condamner cette atteinte à la dignité humaine; ces voix seront rares, ce furent celles de la Ligue pour la défense des droits de l’homme et du citoyen et de quelques religieux. Mais aucune réaction politique importante, aucune protestation de l’Humanité ou du Canard enchaîné. Clémenceau n’était plus là qui s’était opposé à Jules Ferry, mais n’avait pu, en 1918, lors du traité de Versailles, soutenir la demande japonaise de voir la Société des Nations, proclamer l’égalité des races.

Les indigènes de la République comme ceux des départements de l'Algérie annexée en 1848 n'auront pas la citoyenneté française et les droits afférents avant 1946. L'indépendance de nos colonies attendra pour beaucoup 1960, 1962 pour l'Algérie. Tandis qu'aux Etats-Unis la ségrégation raciale officielle ne cessera qu'en 1965. Histoires française et américaine différentes mais marquées par la même absence de reconnaissance de leur pleine humanité, leur même dignité et de leur réelle égalité aux femmes et aux hommes sur lesquel(l)es ont été et sont encore exercées domination et violence physiques et pscychologiques.


1948 - un déclaration pieuse, peu appliquée


Il a fallu attendre 1948 et la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU pour que le monde entier affirme officiellement (art. 1 de la déclaration): « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Les autres articles déclinent ces principes pour expliciter si besoin était, les libertés et les droits dont doivent bénéficier tous les êtres humains. Les libertés, de pensée, de religion, d’opinion, d’expression, de circulation, de migration, de se marier, de participation aux affaires publiques. Les droits à l’éducation, à la culture, à la propriété privée et des droits économiques et sociaux qui sont détaillés : droit au travail – de durée raisonnable- avec une rémunération équitable et respectant le principe, à travail égal, salaire égal, le droit de se syndiquer ; le droit à la protection sociale à la protection contre le chômage, le droit à un niveau de vie suffisant.

Même en France, chacun d’entre nous sait que, bien longtemps après 1948, après 1962, nous sommes restés loin de l'idéal de la belle et pieuse déclaration. Pourtant progressivement, chez nous comme dans la plupart des pays « riches » on a eu le sentiment – et les statistiques le montrent- que petit à petit presque tous avaient le droit à un niveau de vie suffisant et bénéficiaient de leurs droits économiques et sociaux, tandis que les libertés étaient affirmées sans qu'on cherchât à vérifier qu'elles étaient bien garanties à toutes et à tous. En réalité, au plus profond de notre société subsistaient indubitablement une discrimination exercée principalement - mais pas que - par des mâles virils en particulier sur les femmes mais aussi sur les enfants, une discrimination exercée de manière plus générale sur les populations étrangères surtout noires et maghrébines avec une sorte de voile pudique maintenu sur sa réalité. Par honte et peut-être en espérant - au sein d'une majorité bien pensante - que ces cas supposés « isolés » tendraient à disparaître.


La tentative française de la marche de 1983


La marche de 1983, pour l’égalité et contre le racisme, a tenté de remuer les consciences et de faire apparaître la réalité de la situation. En vain. On a entendu en 2014 et 2015 des injures racistes inacceptables proférées à l’encontre de Christiane Taubira, Ministre de la République – imaginez ce que peut entendre une personne sans notoriété ! Ou plus récemment des injures contre des joueurs de football sur un stade. Imaginez ce qu'on peut entendre dans la rue quand on est un simple piéton. On a rendu publique en 2016 la grande enquête des services de l'Etat, montrant l'ampleur des discriminations raciales à l’embauche. Les violences sexuelles principalement contre les femmes, les féminicides, mais aussi les viols, les incestes et les violences homophobes que l'on tait moins depuis quelques années, montrent chaque jour l’ampleur des réalités contre lesquelles nous devons nous mobiliser. .

Nous devons en parler autour de nous. Nous devons en finir avec ce déni d’un mal profond. Celles et ceux qui le subissent se sentent dans des impasses, ne savent comment s’en sortir. La tentation leur est forte de laisser exploser la colère ou de sombrer dans le désespoir de conduites dangereuses. Celles et ceux qui pensent s’en être pas si mal sortis, comme victimes pas trop estropiées, se taisaient en général mais se mettent aujourd’hui à parler. Il faut les y aider. Oui il le faut pour faire honte à ceux qui dégradent l’humanité par leur violence. Il le faut si nous voulons faire changer les choses et faire vivre notre commune humanité, en commençant ici, dans le pays qui se targue de porter haut une devise de Fraternité. Saisissons l’opportunité venue du large : #Metoo George ! Que ce ne soit pas qu'un rêve. Que surgisse ce changement qui sera un vrai progrès en humanité!

Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.


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Comment bâtir un monde d’après-covid, différent ?

Posté sur altersociétal le 30 avril 2020

Comment et au nom de quoi se pourrait-il que l’après covid 19 ne soit pas comme avant ?Nous sommes des millions à le souhaiter. Au nom d’un idéal qui est celui défini par le convivialisme mais que peut reprendre un autre énoncé de ses principes. Pour peu que s’y reconnaisse tout un ensemble de forces politiques et sociales et qu’elles se réunissent pour élaborer des propositions, des mesures basculantes et en imposent l’application au pouvoir en place. Sans cela nous ne pourrons construire un monde d’après covid qui soit bien celui où les « je » s’épanouissent dans un « nous » dynamisant l’essor d’une civilisation conviviale.Il y a état d’urgence maximale.

Comment et au nom de quoi se pourrait-il que l’après covid 19 ne soit pas comme avant ? Nous sommes des millions à nous demander en effet, comme Edgar Morin : « Les déconfinés reprendront-ils le cycle chronométré, accéléré, égoïste, consumériste ? Ou bien y aura-t-il un nouvel essor de vie conviviale et aimante vers une civilisation où se déploie la poésie de la vie, où le « je » s’épanouit dans un « nous » ? Comment et au nom de quoi pourrait-on basculer du « bon côté » ?

L’histoire nous l’apprend : le changement est un combat


Dans les grands moments historiques graves, il s’est avéré possible qu’une large mobilisation de forces vives se fasse, qu’elles se rassemblent malgré leur diversité, pour modifier le cours « naturel » des choses qui emmenait des peuples à la catastrophe et le faire bifurquer vers du meilleur. Dans le passé lointain ce fut par exemple chez nous, au nom des Saints et du Roi à sacrer, que Jeanne D’Arc rétablit – par les armes- la France menacée de disparaître sous la domination anglaise. En Russie, c’est au nom du peuple des soviets ou conseils populaires que Lénine pilotera – après des années de guerre civile- l’éradication des anciennes structures féodales. Faisant régner un communisme qui devint totalitaire et qui céda en 1991, au nom de la victoire dite finale du modèle libéral de marché. En France, au sortir de la deuxième guerre mondiale, après une lutte menée durant des années pour résister à l’expansion du totalitarisme nazi, c’est au nom de la Liberté retrouvée, que le conseil national de la résistance avait pu rassembler des forces qui y redessinèrent complétement un pacte social pour la nation ; mais la troisième voie, vantée par les Giddens et Beck, en a eu raison et son détricotage commencé dans les années 1990 était en voie d’achèvement avec Macron.

Pour que notre option du « nous » ait quelque chance de l’emporter, il faut se rappeler que cela se fait toujours de haute lutte. Il faut aussi être conscient de l’endroit où se trouve cette frontière qui nous sépare, et forger une opposition forte et puissante capable d’arrêter la dynamique néo-libérale qui s’est emparée progressivement du monde et de la France. Et qui entend bien repartir au mieux, le plus vite possible. Si elle se relance, c’en est fini de notre option. Ne nous trompons ni d’adversaire ni de combat. La dynamique en cours se fait charmante voire sidérante en s’habillant des supposées liberté et responsabilité individuelles ; en gommant les réalités faisant des premiers de cordées des soutiens de ceux qui sont à la traîne ; en prenant des couleurs vertes mais en ayant été incapable de prendre les mesures de plus en plus urgentes pour enrayer la menace de catastrophe écologique. Entre les membres des élites économiques et politiques dirigeantes actuelles et le reste de la population présente et les générations futures, les intérêts sont en forte divergence. Certes la situation d’une partie des classes moyennes a gardé quelques avantages d’avant 1990, mais elle continuera à se dégrader et celles des classes plus populaires empirera plus vite que le rythme auquel poursuivront leur enrichissement les classes supérieures tout en se prémunissant au mieux des désastres écologiques.

Une mobilisation au nom d’un idéal commun


Construire ce « nous » est donc un combat, et ce n’est pas une reprise des activités comme avant qu’il faut engager. Il faut entreprendre une transformation profonde de la structure de notre appareil de production de biens et services, de l’organisation de nos services publics, de l’aménagement de nos villes et de nos campagnes. Il y a lieu de construire une mondialisation coopérative, écologique et non néo-libérale, productiviste. Une formidable transformation qui doit bousculer tous nos modes de fonctionnement et qui vient heurter tous les pouvoirs établis. Une transformation sociale, écologique et démocratique que des initiatives locales dispersées pourront continuer à préparer mais il faut plus pour l’accomplir. Pourraient y contribuer certaines entités, partis politiques, organisations qui partagent le bien-fondé de cette alternative parce qu’elles se réfèrent les unes et les autres à des valeurs qui sont proches mais spécifiques et distinctes. Diverses variétés de socialisme, d’écologie, d’anti néo-libéralisme. Mais cette multiplicité les rend impuissants par leur division qui fait en outre le lit du populisme autoritaire comme seule opposition organisée au pouvoir en place. Malgré leur diversité, si ces initiatives percevaient qu’elles partagent un même idéal, elles pourraient se rassembler en son nom, pour mener un combat victorieux contre le néo-libéralisme et contribuer ensemble à fonder un nouveau pacte social.

Il faut expliciter cet idéal en énonçant les principes partagés pour engager la nécessaire transformation sociale, écologique et démocratique. Leur énoncé peut s’inspirer de ceux du manifeste convivialiste et en retenir quatre : (1) modération responsable, (2) égale dignité, (3) liberté solidaire, (4) délibération créatrice. Ecologistes, socialistes, insoumis, anticapitalistes, réformateurs de différentes tendances, devraient pouvoir s’y retrouver, en acceptant l’idée que la réussite du projet de transformation ne peut s’appuyer sur les seuls principes qui leur sont historiquement les plus chers, mais sur une combinaison interdépendante avec d’autres. Presque toutes ces traditions politiques ont déjà intégré que la « modération responsable » était indispensable face à la menace écologique et à l’hyper concentration capitalistique. L’égale dignité doit absolument être atteinte avant même d’approcher la disparition de toute inégalité économique. La liberté individuelle ne saurait être négligée, mais elle ne peut signifier encouragement de la rivalité égoïste et doit se vivre dans le partage et la coopération. La démocratie active à tous les niveaux de territoire et entre eux est créatrice, par la délibération des citoyens et de leurs représentants, du commun à définir et à forger ensemble.

Au nom de l'idéal défini par ces principes, tout un ensemble de forces politiques et sociales doivent se réunir pour élaborer des propositions qui les mettent en œuvre. Elles pourront contribuer par des mesures basculantes à nous faire passer dans un monde d’après covid qui soit bien celui où les « je » s’épanouissent dans un « nous » dynamisant l’essor d’une civilisation conviviale. Il y a état d’urgence maximale.

Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.



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Peut-on espérer un accord politique d'autolimitation ?.

>Posté sur altersociétal le 9 avril 2020

Après 2008 rien ne devait plus être comme avant. Les Etats ont renfloué les banques qui ont montré patte blanche puis se sont à nouveau précipitées dans les paradis fiscaux. Effaçant le risque de séparation entre banque d’affaire et banque privée. Pas d’inflation, croissance bien faible, et la Banque Centrale Européenne a relayé les Etats, pratiquant le « Quantitative Easing » et distribuant aux banques plus de 4 600 milliards d’euros soit plus de 40% du PIB annuel de l’Union Européenne entre 2011 et fin 2018. Et l’on sait dans quel état poussif se trouvait cependant la divine croissance : avant que survienne la pandémie, nous étions encore à l’attendre.

Si la croissance ne repart pas demain, les entreprises en difficulté aujourd’hui, celles qui ne tiennent qu’avec les aides de l’Etat (100 milliards d’euros !), le chômage partiel (7 millions de personnes), vont mettre la clef sous la porte. Des petits commerçants, des artisans, des PME. D’autres survivront en réduisant leur effectif sous réserve que l’arrêt économique prenne fin bien vite. Les plus grandes ont les reins solides mais vont élaguer les branches les plus faibles et licencier les employés en trop. C’est déjà fait pour un certain nombre comme dans le transport aérien.

Le paysage est tel que la demande de relance est forte. Aider le plus grand nombre d’entreprises en difficulté en allant jusqu’à leur nationalisation temporaire. Soutenir la demande et en même temps restaurer un système de santé avec des équipements adéquats. Pourtant des voix s’élèvent pour demander qu’on ne recommence pas tout comme avant, que l’on considère que nos difficultés présentes peuvent être une opportunité à saisir pour changer le logiciel de notre fonctionnement. Prendre une autre direction.

A quelle condition est-ce possible ? Cette condition a été énoncée par Ivan Illich [1] en 1973, son avis reste pertinent car nous en sommes encore à souffrir du même mal : l’illimitation. La crise est profonde. « la seule réponse possible consiste à reconnaître sa profondeur et à accepter le seul principe de solution qui s’offre : établir par accord politique, une autolimitation. »

Forte relance ou nette redirection ?


L’expérience du confinement nous montre que ce qui compte pour nous c’est la vie. Comme disait John Ruskin, l’inspirateur de Gandhi, « il n’est pas d’autre richesse que la vie ». Par conséquent ce qui nous importe en ce moment ce n’est pas le % de PNB perdu, mais combien de vies sont perdues. Et non pas comment restaurer la croissance, mais comment réussir à enrayer la pandémie et sauver des vies. Et puis ensuite prioriser notre autonomie : production locale pour nos besoins locaux essentiels. C’est déjà le cas pour l’habitat, ça ne l’est pas assez pour l’alimentation, cela pourrait l’être plus pour les fournitures nécessaires aux établissements de soin etc. Et pour ce que nous ne pouvons produire nous-même passer des accords non pas de libre-échange mais de coopération.

Bien sûr que la production locale sera souvent plus chère que la production à l’étranger où elle a été délocalisée souvent par nos firmes. Si elle est plus chère c’est que nos salaires moyens sont plus élevés qu’à l’étranger et non pas en raison de moindres compétences techniques car ce sont elles que nos firmes utilisent à l’étranger. Les prix sont avec les salaires un moyen de répartir la production, le fruit de notre travail. Produisons ce dont nous avons besoin et répartissons cette production entre nous sans passer par le diktat du marché international. Un nouveau logiciel ne peut fonctionner avec des accords internationaux de libre échange pour tous les produits mais avec des accords de coopération. Alors au lieu de nous embarquer dans une forte relance, nous serions mis en marche selon une nette redirection.

Certes, il est vraisemblable qu’en procédant ainsi la production d’ensemble mesurée selon l’ancien système de prix soit plus faible. Et alors ? Si cela nous permet de vivre dans des conditions satisfaisantes, avec modération ? Si le quart des Français continue comme aujourd’hui de pratiquer le télétravail, nous utiliserons moins de transports et moins de cantines et restaurants ? Peut-être un certain nombre d’entre nous pourront remettre à plus tard leur changement de véhicule, voire s’en passer. Alors ? Alors il faudra peut-être supprimer une ou deux usines de fabrication d’automobiles en France et je ne sais combien d’entreprises fournisseurs d’équipement et de vendeurs etc. C’est-à-dire que changer de logiciel impliquera une restructuration importante : fermer des entreprises. D’autres pourraient voir le jour dans les secteurs où les besoins ne sont pas satisfaits comme la qualité des logements notamment environnementale. Et bien d’autres.

Le chemin à emprunter est plein d’embûches et le début qui est de renoncer à relancer la machine comme avant, maintiendrait un niveau plus bas d’activité et exigerait notre modération. Et envisager qu’on évite de relancer la destruction de la planète en prenant des mesures de limitation de l’usage des ressources du sous-sol, privilégier les transports en commun – encore un impact sur l’industrie automobile… Il faudra aussi une solidarité formidable avec ceux qui seront touchés par les effets de ces choix. Un emprunt d’Etat exceptionnel ou/et des actions associatives directes ?

Une véritable bataille contre notre ancienne tendance à l’illimitation doit être engagée. Pour mener une telle bataille, il faut que nos dirigeants en soient capables, capables d’obtenir de notre peuple, et d’abord de ceux qui sont le plus dans cette démesure, un accord politique d’autolimitation et d’esquisser les contours de son contenu.

Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.

[1] La convivialité, Paris, Editions du Seuil, 1973, p. 153.

Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.


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Il n’y a pas d’autre richesse que la vie.

Texte publié par Ouest-Francesur altersociétal le 27 mars 2020, version pdf téléchargeable

La société française, le monde... Nous sommes tous confrontés, comme souvent depuis l'origine de l'humanité, à une épidémie qui met en danger la vie sur la planète. Les progrès de la médecine nous aident à comprendre, à lutter, mais il n'est pas d'autre remède pour le moment que d'essayer de résister par le confinement et la solidarité. Saurons-nous tirer de ce drame collectif des réflexions propices à la construction d'un avenir meilleur pour tous?

Dans les circonstances actuelles, il y a presqu’unanimité pour approuver cette expression de John Ruskin, l’inspirateur de Gandhi, «il n’y a pas d'autre richesse que la vie ». Il nous faut semble-t-il ces moments où la vie est menacée, pour nous rendre compte combien c’est la seule chose que nous ayons en partage et combien nous souhaitons pouvoir apprécier et prolonger ces moments de convivialité.

Notre président l’a proclamé en effet, la santé, la vie n’a pas de prix et on ne saurait soumettre les services de santé, disons ce qui sert la vie, aux mécanismes du marché. Ainsi, le nouveau management public n’a pas sa place à l’hôpital et il va falloir réviser cela. Les règles budgétaires sacro-saintes, et l’ensemble de nos règles doivent être au service de nos vies et non pas les asservir. Quoiqu’il en coûte, cela a été promis.

Au-delà de ces circonstances conjoncturelles de quelques mois, continuerons-nous par la suite à privilégier la vie sur les intérêts économiques et la croissance inégale ? C’est-à-dire éloignerons nous la menace structurelle triple qui nous emmène à la catastrophe à moyen et long terme ?

Une leçon pour demain ?


Qui commande la production ? L’économie réelle est passée sous le contrôle de la finance qui exige pour s’investir des taux de rendement de 15% ou sinon se place sur des marchés financiers légaux ou/et paradisiaques. Remettrons-nous l’économie en ordre de marche pour répondre à nos réels besoins ? Les taux de rendements attendus ne peuvent être supérieurs au taux de croissance de l’économie mondiale. Une production guidée par la finance n’est pas guidée par la vie.

Qu’allons-nous produire ? Lorsque sont arrêtées toutes les activités non indispensables à la vie, on s’aperçoit que bon nombre d’activités sont des activités pour elles-mêmes. Bruno Lemaire nous a affirmé que nous n’avions pas besoin de dizaines de choix de type de pâtes alimentaires pour pouvoir nous nourrir. On pourrait de même considérer que pour faire du sport on peut avoir un peu plus de choix que dans le passé entre tennis, baskets, crampons, mais que les innovations perpétuelles des grandes marques et les dizaines de mètres de type de running, etc. n’apportent guère à notre vie. Elles correspondent à des pseudo-innovations et des incitations à changer d’équipement alors que dans le monde des centaines de millions de personnes marchent pieds nus ou sont très mal chaussées. Des besoins créés plus que révélés ou guidés par la publicité ne sont pas des besoins correspondant à ceux de notre vie commune.

Des échanges internationaux de coopération, pas de concurrence


Et puis comment allons-nous produire ? Les circonstances présentes montrent toute l’importance de produire en priorité localement pour les besoins locaux – en particulier tout ce qui est indispensable à la vie et à la santé - et la nécessité d’organiser des échanges internationaux de coopération et non pas de concurrence. Une coopération qui doit aider vraiment les pays qui peinent à assurer la vie de leur population. Et, au-delà, de penser à produire dans des quantités raisonnables, pour les raisons évoquées précédemment et plus encore pour maintenir notre planète habitable, vivable. Il est plus que grand temps de prendre des mesures fortes pour ralentir notre impact sur le réchauffement climatique, pour diminuer la pollution qui nuit à notre santé, pour éviter d’épuiser les ressources de la planète. Et de programmer l'élimination des processus de production dont l’interruption accidentelle ou malveillante ferait des milliers de morts ou plus. C’est-à-dire protéger au mieux les installations dangereuses, supprimer celles dont on ne peut réellement se protéger comme les installations nucléaires.

Marc Humbert, Vice-président de l'association des convivialistes, professeur émérite à l’université de Rennes.


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La société branchée et ses périls

Posté sur altersociétal le 18 février 2020

La société branchée apporte la transparence et on entend la réponse de certains à ceux qui s’en inquiètent : celui qui n’a rien à se reprocher ne craint pas la transparence. Ce n’est pas si simple, doit-on à tout moment et en tout lieu se retrouver comme sur la place publique ? Si l’anonymat permet de cacher nos turpitudes ou d’injurier sans risque de représailles, cet anonymat n’est que factice, la société branchée nous retrouve et nous met en pâture tel que nous sommes, nus, sur la place publique et manipulables, par des maîtres chanteurs, par des chercheurs de profits ou par un Etat totalitaire. La société branchée est au péril des excès de sa démesure et nous prépare un monde tout aussi invivable que les excès productivistes qui menacent de rendre la terre inhabitable.

Nous sommes arrivés à un point d’évolution du numérique où il est temps que l’éthique et le politique viennent aux commandes de sa régulation. Ce n’est pas que je sois un résistant irréductible face au numérique, au contraire j’en ai été un accompagnateur engagé.

J’ai utilisé professionnellement l’informatique dès 1966, puis accompagné l’apparition d’internet en 1983. J’ai loué l’opportunité de l’informatique individuelle avant même l’arrivée du PC d’IBM en 1981, et créé le concept de domotique en 1982. J’ai introduit la bureautique dans ma faculté d’économie, et dix ans plus tard on y mettra des PC en réseau dans l’enseignement. Lors du passage au 3ème millénaire, j’ai organisé la confection du site internet de l’université de Rennes 1 alors que j’étais parmi les premiers utilisateurs d’un téléphone portable. J’ai sorti en 1997 un ouvrage sur l’évolution passée en annonçant cette société branchée. J’en voyais surtout les bénéfices, incontestables, au-delà de certains éléments « gadgets ».

J’avais minimisé la dimension sociologique, la survenue de la totale transparence individuelle et de la facilitation de la surveillance sociale privée ou étatique.

Transparence et surveillance


La transparence individuelle, c’est la disparition de l’anonymat et de la sphère privée. La vie individuelle est mise à nu sur un espace quasi-public pour des « hackers », pour des firmes, entre autres du numérique, pour l’Etat ou d’autres organisations. C’est le prix de l’accès à ces facilités d’échanger -communiquer- des messages audio, des images, des vidéos, des écrits, avec tout un chacun, le prix pour bénéficier de tout ce qui a été dit, vu, fait depuis toujours. Il faut s’identifier sur les plates-formes d’interface dont les algorithmes – « de l’intelligence artificielle » sélectionnent pour nous, en raison de notre profil, quelques propositions – parmi des millions et gardent en mémoire notre localisation, nos choix, nos échanges et nos réactions. L’internet des objets à venir, mais déjà les compteurs linky, les téléviseurs à caméra chez nous, les gps de nos smartphones -utilisés jusque dans nos sphères les plus intimes-, les caméras « de surveillance » bientôt partout, et les systèmes de reconnaissance faciale presque sûrs, permettent de savoir à tout moment où nous sommes et ce que nous faisons.

Pour Shoshana Zuboff c’est l’ère du capitalisme de surveillance exercée par des firmes qui en tirent d’énormes profits. David Stilwell, avec une étude sur 2 millions de volontaires, a montré qu’un algorithme pouvait prévoir nos choix en observant des « likes » déjà faits, la prédiction est aussi bonne que celle d’un conjoint à partir de 226 « likes ». Nous sommes nus et bien sûr manipulables. Lorsqu’un Etat s’en empare cela fait penser à l’état totalitaire mis en scène dans 1984 par George Orwell. Certains comme Alain Frachon se demandent si ce n’est pas cela qui est en cours d’installation en Chine.

Nous reconnaissons aujourd’hui que les techniques productivistes, faute de trouver un accord politique d’autolimitation et de le respecter, nous entraînent vers un monde terrestre inhabitable pour les générations futures. La démesure des technologies du numérique – loin d’être « vertes » - nous entraînent vers des sociétés de surveillance généralisée, capitaliste ou étatique où le privé a disparu. Il est urgent que dans ce domaine aussi, l’éthique et le politique reprennent la main sur le technique et l’économique, pour construire un futur qui reste convivial.

Marc Humbert, Professeur émérite à l’université de Rennes 1, convivialiste.



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